May Maalouf Monneau

Spécialiste du Moyen-Orient
MayMaaloufMonneau.com

May Maalouf Monneau

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Jérusalem

 

Jérusalem est l’une des rares villes à combiner autant de ­contrastes, l’un de ces endroits où le passé « a du mal à passer », où l’antique n’est pas simplement mémoriel mais aussi revendicatif. Et c’est la Vieille Ville, gardienne des Lieux Saints où les temporalités s’entremêlent, qui cristallise les passions.
Au cœur d’un conflit presque centenaire, convoitée par les Israéliens et les Palestiniens dans un rapport de force déséquilibré, Jérusalem est une ville divisée et revendiquée à la fois par les nationalismes et les monothéismes.
Archétype de la ville frontière, Jérusalem ne serait-elle pas ­condamnée à rester hors du temps ?

Jérusalem idées reçues sur une ville frontières May Maalouf Monneau

Sommaire

Jérusalem idées reçues sur une ville frontières May Maalouf Monneau
Jérusalem idées reçues sur une ville frontières May Maalouf Monneau

Introduction :
Jérusalem une ville hors du temps

Peu de cités dans le monde réussissent à fasciner par leurs antagonismes. À la fois rationnelle et irrationnelle, tolérante et intolérante, mystique et réelle, modeste et altière, Jérusalem est l’une des rares villes à combiner autant de contrastes. Elle est aussi l’un des rares endroits au monde où le passé « a du mal à passer », où l’ancien n’a pas le goût du révolu. Car l’antique n’est pas simplement mémoriel, il est aussi revendicatif. Le présent ne manque pas de le solliciter et le soumettre à ses exigences. Si l’ère des expéditions militaires entre l’Occident européen et le Moyen-Orient est une période bien close aujourd’hui, certaines plaies semblent difficiles à cicatriser à Jérusalem. Sur fond de monothéisme, les manœuvres politiques évoluent, mutent, résistent et s’épuisent, mais elles sont rarement anéanties. La territorialisation du monothéisme à travers les siècles, puis sa récente nationalisation, peuvent l’attester. Ces conjonctures ont fini par dévier la trajectoire de l’histoire contemporaine en l’enfermant dans une posture cyclique de guerres et de conflits. Au-delà des déflagrations la « Terre » reste, certes, mais les enjeux changent et les mots se vident de leur sens.

La « Terre Sainte » est une expression que le réel ne satisfait plus aujourd’hui, même si l’imaginaire territorial peine à y renoncer. Les faits ont changé avec le nouveau traçage des frontières et l’invention des États-nations au siècle dernier. On parle plutôt de « Lieux Saints », à savoir des localisations éparses s’entêtant à fossiliser les mémoires ou même parfois, à les réinventer. À Jérusalem, c’est la Vieille Ville qui est gardienne de ces mémoires. C’est elle la « vraie ville », qui abrite les « vrais » Lieux Saints.

Dès que l’on franchit la Porte de Damas (Bab el-Amoud), l’entrée principale de la Vieille Ville, on réalise que l’on s’aventure dans une cité pas comme les autres. Non pas tellement par son aspect médiéval ou ses architectures édifiantes, mais parce qu’on s’aperçoit, presque malgré nous, qu’elle n’appartient ni au passé, ni au présent, et qu’elle ne sera jamais celle du futur. Jérusalem n’est pas Cordoue. L’impressionnante mosquée-cathédrale espagnole, aussi emblématique soit-elle, ne peut avoir son équivalent de l’autre côté de la Méditerranée. Les églises de Jérusalem ne se transformeront pas en mosquées ou en synagogues et inversement, même si, à un moment donné, la tentation d’altérer certains lieux significatifs pour des motifs nationaux est devenue réalité. Ici, passé, présent et futur s’entremêlent et leur poids écrasant finit, paradoxalement, par projeter ce petit coin du monde à l’extérieur des limites spatio-temporelles. Ce périmètre d’à peine un kilomètre carré est devenu aujourd’hui une ville-symbole hors du temps, échappant à toute sédentarisation historique. L’astreindre à se glisser dans un moule nationalo-étatique pourrait lui être fatal. Car quelle nation peut prétendre représenter une ville-symbole atemporelle ?

Mais la marche de l’Histoire est coriace. Elle réintègre la Ville Sainte dans un conflit qui est en passe de devenir centenaire. Jérusalem se retrouve convoitée par deux entités nationalistes antagonistes : palestinienne et israélienne. Aujourd’hui comme hier, les protagonistes ne sont pas dans un rapport de force identique, mais dans une logique de rivalité où se superposent acteurs dominants et dominés. C’est une ville divisée, contestée, revendiquée à la fois par les nationalismes et par les monothéismes. Est-ce son ultime consécration de ville frontière ? Il est vrai qu’il paraît difficile de séparer le sort de la ville de la solution qui sera apportée au conflit. Il est vrai aussi que la stabilisation de son statut politique est le problème le plus ardu dans cette lutte. Mais il n’est pas étonnant cependant de s’interroger, quelle que soit l’issue retenue, la ville de Jérusalem, et plus précisément sa Vieille Ville, n’est-elle pas condamnée à rester hors du temps ?